Être envoyé en mission en Inde a un côté un peu mythique. On pense tout de suite à ces grandes figures missionnaires : Mère Theresa, saint François-Xavier et même l’apôtre saint Thomas. Le sous-continent indien, territoire aux confins de l’Arabie et aux portes de l’Asie, est un entre-monde qui porte avec lui ses légendes et ses mystères. Cette terre est un univers en soi qui offre bien des promesses au volontaire que je suis.
J’ai donc été envoyé auprès d’une ONG nommée Howrah South Point, pour une mission en tant qu’éducateur auprès d’enfants porteurs de handicap. La plupart d’entre eux souffrent de malformations, mais il y a aussi quelques enfants handicapés mentaux. Voilà maintenant trois mois que je suis arrivé dans mon centre à Jalpaiguri, au nord du Bengale occidental. J’y donne des cours de chant et je participe aussi à la vie commune de plusieurs manières, que ce soit en rendant des services, en jouant avec les enfants ou en priant avec eux. Je me souviens du jour de mon arrivée, les enfants m’ont solennellement accueilli avec des fleurs et une chanson de bienvenue. Ils étaient très fiers et heureux que je sois des leurs, ils chantaient de tout leur cœur et j’en étais profondément touché. Je pensais, en moi-même, en écoutant les voix qui n’étaient malheureusement pas très harmonieuses : « J’ai du pain sur la planche ! »
La patience comme une amie
Le temps de Noël arrivait et je comptais organiser un Christmas gathering – une fête de Noël – pour avoir l’occasion de faire un petit concert. Le temps de préparation fut laborieux pour eux comme pour moi. D’abord, il y a eu la communication. J’ai vite compris que j’aurais besoin de parler le bengali si je voulais me faire comprendre. Ensuite, il a fallu apprendre à se connaître, à s’écouter, à travailler ensemble. Réussir à obtenir l’attention du groupe et à faire saisir l’expérience formidable de chanter ensemble à ces garçons de 7 à 12 ans, qui ont tant d’énergie à revendre, relevait de l’exploit. Les notions d’efficacité, de performance, de productivité n’ayant pas du tout la même résonance dans ce pays, la patience fut, pendant ce début de mission, ma meilleure amie. Sans elle, j’aurais pu, à de nombreuses reprises, baissé les bras.
Pour cette fête, je voulais leur apprendre quelques Christmas carols – chants de Noël –, ce sont des mélodies simples, avec de belles paroles qui nous aident à entrer dans le mystère de Noël. Il a fallu se faire à la langue, chanter en anglais pour des enfants bengalis n’est pas si naturel. Jour après jour, je les faisais répéter et, en quelques semaines, je les ai vus faire des progrès impressionnants. L’avantage du chant, c’est que je peux leur donner des notions de langues, de géographie, de culture générale en même temps. Ce qui me frappe ici, c’est que les enfants n’ont pas d’a priori. Je peux leur proposer ce que je veux, ils seront toujours curieux d’apprendre. L’enjeu, pour moi, n’est pas simplement de les faire chanter, mais de leur montrer qu’ils sont capables de faire de belles choses et de les aider à prendre confiance en eux. À cause de leurs situations et de leurs handicaps, certains d’entre eux manquent d’estime d’eux-mêmes. Pouvoir se dépasser par l’art est donc un excellent moyen, pour eux, de retrouver cette confiance perdue. Le jour du concert, tous les enfants s’étaient fait beau pour l’occasion. Ils étaient heureux de montrer, à leurs camarades et aux membres du staff, ce qu’ils avaient appris. Nous avons aussi dansé, comme il se doit lors d’une festivité ici. C’était la première fois qu’ils participaient à un concert, certes modeste, mais quand même ! Je suis sûr qu’ils garderont un bon souvenir de cette expérience. Ce n’était finalement pas grand-chose ce petit concert, mais je crois que c’est là que Dieu m’attendait dans ma mission.
Se rapprocher de Dieu
Pour moi qui avais fait le choix de donner ma vie pour devenir prêtre, il était important de partir en volontariat en tant que séminariste pour « acter » en quelque sorte cette décision, pour me rattacher à une communauté et aussi pour vivre ce temps comme un temps de formation, non pas tant intellectuelle, mais surtout spirituelle. Je voulais former mon cœur à l’école de la pauvreté pour commencer mon parcours. Je vis ainsi ma mission comme un moyen de me rapprocher de Dieu et de le suivre lui seul. C’est, d’ailleurs, pour cela que j’ai désiré partir en volontariat : me détacher de ce qui pourrait n’être que le superflu pour m’attacher à l’essentiel. Cela, je l’ai fait, d’abord, en mettant Dieu au centre de mes journées, avec la messe et la prière, pour vivre mes actions les plus quotidiennes, mes services, mes cours par lui, avec lui et en lui. Je découvre, alors, combien je suis faible et ai besoin de la grâce de Dieu pour avancer. C’est aussi l’expérience de la fidélité et de la persévérance : tous les jours, je dois rechoisir la mission, me laisser réenvoyé, pour que ce temps ne devienne pas mon projet, mais le projet de Dieu pour moi.
Emmanuel, volontaire MEP
extrait de la Revue MEP n° 578, février 2022