Aymeric Dor, jeune séminariste de 26 ans originaire de Nantes, s’est envolé à l’été 2023 pour la Thaïlande. Il a été appelé pendant un an auprès du peuple Karen, « petit bout de ciel qui s’est décroché » originaire du Nord de la Birmanie et dont une partie habite maintenant les montagnes du Nord-Ouest de la Thaïlande. Si certains Karens avaient déjà été évangélisés au XIXe siècle par des missionnaires protestants anglais et américains, le village de Maewé, isolé, a été touché au début des années 1960 par la grâce de l’Esprit Saint, qui s’est ensuite répandue aux alentours. Il est le témoignage vivant que ce dernier souffle où il veut, comme le rappelle Aymeric. Ce ne sont certainement pas quelques montagnes et l’absence d’une route qui vont l’arrêter.
Après avoir validé une double licence Droit-Histoire à l’Institut Catholique de Vendée, Aymeric s’est orienté vers le séminaire. Ce sont ses supérieurs qui l’ont introduit au volontariat et qui l’ont conduit à « frapper à la porte des MEP », dans le cadre de son année de stage obligatoire, qui a lieu en général au milieu du séminaire. Une décision, qui, dit-il, lui permet d’ouvrir son esprit, mais qui est souvent perçue avec incrédulité : pourquoi partirait-il à l’autre bout du monde alors qu’il se destine à la prêtrise en France ?
La mission
En Thaïlande, Aymeric a une mission principale : servir le Christ. Cependant, celle-ci prend plusieurs formes, et présente trois dimensions principales. Tout d’abord, il endosse le rôle d’expert-comptable et de gérant pour l’association Terres Karens, qui a pour principal client l’association Terres Karens Paris, créée et tenue par d’anciens volontaires (AluMEP). Il s’occupe de toute la logistique de l’association, qui vend des produits artisanaux fabriqués par les Karens en Thaïlande et soutient leurs projets. Le jeune séminariste ne coud pas (ses compétences en couture se résument à coudre un bouton), mais il s’occupe de tout le reste, comme l’approvisionnement en tissus et matériaux divers, la distribution des salaires, etc. C’est la directrice de l’atelier qui s’occupe de la partie plus manuelle et qui lui passe les commandes. La deuxième partie de sa mission, elle, est plus axée sur la présence en tant que telle. En effet, Aymeric est un grand frère pour la vingtaine de jeunes qui habitent le centre Saint François d’Assises à Maetowo où ils suivent une éducation qui correspond au collège en France. Là, en plus de partager leur quotidien, il leur donne des cours d’anglais mais aussi de piano et de chant, qui les préparent à la messe en fin de semaine. Enfin, il est engagé dans divers projets de la paroisse. Par exemple, en partenariat avec l’association Giving Tree localisée à Bangkok et tenue par des français, qui élabore des sacs-cadeaux pour les enfants Karens et recueille les souhaits de Noël de millier d’enfants qui vivent dans la montagne. Ceux-ci ont le choix parmi une casquette, une dînette, un ballon, une montre, une peluche, une lampe de poche, etc. À Noël, ces sacs, qui contiennent également une tenue chaude, un nécessaire de toilette ou encore des crayons sont distribués à chaque enfant, ce qui constitue de très beaux moments d’après Aymeric.
En plus des tournées qu’il réalise parfois et qui consistent à se déplacer de village en village avec le prêtre pour célébrer la messe (à Noël, la messe est célébrée plus de douze fois dans différents villages), les missions s’articulent de manière variable. Il arrive qu’il ne soit pas au centre Saint François d’Assises pendant plusieurs jours et ne puisse pas exercer son rôle de Grand Frère. D’autres jours, il ne s’occupe pas de la gestion de Terres Karens car il n’y a pas de besoins particuliers. Toute cette organisation se fait de manière spontanée et dépend des besoins du jour.
S’intégrer à l’autre bout du monde
Aymeric semble s’être très bien adapté à ce quotidien pourtant si différent des habitudes françaises. En effet, il n’avait pas d’attentes précises vis-à-vis du volontariat, et est parti sans préjugés, en toute confiance dans le Christ. Mais comment a-t-il fait ? Pour lui, on ne peut pas se défaire de sa propre culture, qui fait partie intégrante de chacun et dans laquelle nous sommes enracinés, mais il faut parfaitement la connaître et en être conscient. On ne peut réellement se plonger dans une culture que si l’on sait d’où l’on vient. Et il est d’ailleurs impossible d’entièrement adopter une autre culture, malgré la connaissance que l’on en a. Aymeric cite l’exemple du Père Alain Bourdery, père MEP en Thaïlande pendant de nombreuses années, qui a appris encore récemment un nouveau fait culturel chez les Karens, alors qu’il vivait auprès d’eux depuis 2002. Le cœur de la mission ne vise pas à s’acculturer, mais à « incarner, comme le Christ, qui s’est fait un avec le peuple Hébreux ». L’important est avant tout de se donner, de plonger autant que possible dans la culture d’accueil, et le reste suit. Ainsi, se laisser porter, accepter la mission qui est donnée mais pas choisie, éléments essentiels au Volontariat MEP, permettent ensuite une meilleure adaptation malgré les nombreuses différences culturelles qui peuvent exister. La mission donne donc lieu à une rencontre entre la culture du peuple d’accueil et du volontaire. Tout comme Aymeric s’est efforcé d’apprendre le Karen, certains Karens essaient aussi d’apprendre le français, ou du moins de prononcer son prénom en français, ce que certains trouvent très amusant (la plupart du temps, Aymeric est appelé Djodo, djo signifiant frère aîné). Bien sûr, il y a des éléments qui changent, des systèmes de pensée dont il faut se défaire. Par exemple, en venant chez les Karens, il faut « quitter l’idée occidentale selon laquelle tout peut être obtenu par l’argent, ou bien sortir du schéma de surconsommation inscrit dans le mode de vie occidental ». Certes, cela peut être douloureux, mais rien d’insurmontable d’après Aymeric. Son objectif premier est d’« être lui-même et de faire de son mieux pour ne blesser personne », puis d’aller à la rencontre des Karens, et « vivre avec eux et comme eux », sans pour autant oublier sa culture française.
Le contexte en Thaïlande
Aymeric n’est pas directement en lien avec la situation générale en Thaïlande, un des pays les plus développés d’Asie du Sud-Est. En effet, sa mission a lieu en Terre Karen, avec le peuple Karen, dont les origines et les coutumes diffèrent du reste de la population Thaïe. Les Karens ont plus de liens avec la Birmanie, qui est d’ailleurs située à seulement quelques pas de la maison où il loge. Il y a donc un certain écart entre eux et le reste de la Thaïlande, notamment sur les plans culturel et religieux. Là-bas, la religion la plus valorisée est le bouddhisme, et le catholicisme, pratiqué par une partie de la communauté Karen, ne se trouve qu’en bas de l’échelle. Cependant, malgré une prévalence et une mise en avant du bouddhisme, toutes les religions sont acceptées et protégées par le gouvernement en Thaïlande.
Et la foi dans tout ça ?
Certes, les Karens que côtoie Aymeric sont catholiques. Pour autant, selon lui, il est tout à fait possible de témoigner de sa foi même entre chrétiens, et la mission ne s’en trouve pas limitée. En effet, il ne s’agit pas uniquement de parler de l’Évangile à des bouddhistes ou bien des animistes, mais aussi de participer à la vie de l’Église et notamment l’Église locale. Il a parfois l’occasion de parler de sa foi avec des amis issus d’autres religions, et peut donc jouer son rôle de missionnaire au sens strict du terme, mais ce n’en est qu’une dimension. Pour Aymeric, la mission peut se vivre en France, dans sa famille comme à l’autre bout du monde, et consiste avant tout à « aimer Jésus et le faire aimer », comme disait Sainte Thérèse de l’Enfant-Jésus. Ainsi, selon Aymeric, « tout vrai chrétien est missionnaire. »
L’importance de la communauté
Certains éléments, notamment ceux liés à la culture, se reflètent dans la pratique de la foi chez les Karens. Par exemple, la génuflexion n’est pas une pratique courante, ni nécessairement une pratique comprise. Lorsque les Karens entrent dans une église, ils joignent leurs mains devant leur visage, signe de respect le plus élevé. À la messe, si l’on est plus grand qu’une personne pourtant plus âgée, il vaut mieux rester assis pour ne pas la dépasser, ce qui serait vu comme un manque de respect. Devant la crèche, on fait le salut royal, c’est-à-dire qu’il faut se mettre à plat ventre. En France, ce n’est pas quelque chose qui se voit tous les jours, et si c’était le cas, ce serait plutôt devant le Saint-Sacrement. Un autre point qui a marqué Aymeric, c’est la vie de communauté très forte présente chez les Karens, qu’il n’a vue nulle part ailleurs, si ce n’est dans des communautés religieuses, mais dans un contexte totalement différent. Dans les villages, tout le monde se rend à la messe sans exception, de temps en temps ont lieu des bénédictions de maison qui rassemblent soixante-dix personnes, et les villageois sont très soudés. Dans la plupart des villages, il arrive qu’il n’y ait qu’une messe par mois, car les prêtres ne sont pas toujours disponibles, mais cela n’empêche pas les Karens de se réunir le dimanche pour prier ensemble.
Comme l’explique Aymeric, chez les Karens et même partout en Asie, croire mais ne pas pratiquer n’a pas de sens et n’est même pas envisageable. C’est d’ailleurs le contraire qui peut s’observer : ne pas croire mais pratiquer. Cette vision crée un sentiment de groupe très fort. Là-bas, la notion d’individualité a une place bien plus réduite qu’en France ou en Occident. Cette très forte dimension sociale a changé la manière de vivre l’Église d’Aymeric, qui voit désormais qu’une réelle vie de communauté chrétienne est possible, qu’elle peut être missionnaire, et ce pas uniquement dans un monastère ou un couvent.
Une foi qui transforme
En discutant avec les Karens, Aymeric a pu découvrir à quel point Jésus et la foi ont transformé leurs vies. Avant, ils vivaient dans la peur des esprits, du sorcier, et dans la superstition. Maintenant, ils sont libérés de ces peurs et aiment un Dieu qui les aime en retour. Une peepee, « grand-mère » en Karen, a confié au jeune séminariste qu’elle était chrétienne « parce qu’elle aimait Dieu ». « La foi, c’est une histoire d’amour et rien d’autre », déclare Aymeric.
Le volontariat et le séminaire
Le volontariat à l’international, s’il est synonyme de dépaysement et de découverte, peut susciter quelques craintes, notamment en raison de la part d’inconnu qu’il comporte. C’est pourquoi Aymeric conseille de partir l’esprit léger autant que possible, sans se poser trop de questions ni se laisser gagner par les inquiétudes diverses. Il faut avant tout être soi-même, même si c’est un conseil « bateau », s’amuse Aymeric, et prendre son temps, non seulement pour admirer le pays et son Église, mais aussi pour le volontariat. Selon lui, il est primordial de « se mettre au service » et essayer de « se mettre à genoux, au moins une fois dans sa vie », et donc de ne pas trop limiter la durée de sa mission. Ensuite, pour partir à l’aventure chez les Karens, mais aussi dans d’autres pays en Asie ou dans l’océan Indien, Aymeric encourage à oser parler et à faire des efforts pour apprendre la langue, d’un côté car c’est la partie « amusante », et d’un autre côté car c’est une démarche qui sera grandement appréciée par la communauté locale.
Le mot de la fin
« Jésus rend heureux. L’Église rend heureux. Le séminaire rend profondément heureux, et j’étais déjà très heureux avant. Le sacerdoce n’est pas uniquement un sacrifice, il ne faut pas avoir peur. La joie du Christ, et donc celle des chrétiens, vient de sa résurrection », déclare Aymeric avec un sourire aux lèvres. Pour lui, la réponse à toutes les questions réside dans cette prière, qui lui a été donnée par son père spirituel en propédeutique : « Seigneur tu es ma joie, Seigneur envoie ton esprit, Seigneur, apprends-moi à t’aimer ».
Un article de Aimée Pallu
Stagiaire au Volontariat MEP
Etudiante à l’ISIT intercultural school | Panthéon Assas (Paris)