Trouver ma place

Guilhaume a été envoyé au Népal, à Thokarpa, pour une mission d'animation sociale et enseignement à la New Aseptic School. À travers ces quelques épisodes, il nous raconte son quotidien depuis son arrivée.

Épisode I – Arrivée au Népal et quarantaine

Samedi 18 septembre, 11h. Je sors de l’avion, il fait chaud. À ma gauche une libellule m’observe. Cette année la saison des pluies s’attarde et l’atmosphère est humide, presque tropicale. Depuis le tarmac du petit aéroport que je suis tenté d’appeler aérodrome j’aperçois les artères bondées de Katmandou.

Avec Robin et Alban, deux autres volontaires avec qui je passe la quarantaine, nous montons dans un taxi pour notre guesthouse après nous être acquittés de l’inévitable et non officielle « pigment tax ». C’est notre baptême de la route, et nous comprenons assez rapidement pourquoi certains locaux, majoritairement des hindous, font leurs prières avant de monter dans les bus et les tuk-tuk.

Cette semaine au détour d’une promenade en ville, nous sommes interpellés par Rakesh, un père de famille d’origine indienne vivant dans la pauvreté qui nous invite à prendre le thé au lait (Le dud ciah, si cher aux habitants du Népal) et nous offre le fameux dal baht, du riz avec un bouillon de lentille légèrement épicé. C’est l’occasion de rencontrer ses enfants, pleins de vie et très joyeux, surtout le petit Rohish (7 ou 8 ans) dont le rire communicatif et le sourire heureux m’ont profondément marqué.

Nous visitons Patan Durbar Square, place centrale de l’ancienne ville de Lalitpur où nous admirons de magnifiques temples dans le style architectural Newar, principalement construits sous la dynastie Malla. Nous nous rendons également au temple de Swayambhunath, un lieu de pèlerinage bouddhiste situé sur une colline à l’ouest de Katmandou, où nous pouvons observer des singes en liberté parmi les hommes.

Après le départ de mes compagnons pour le village de Tipling, leur lieu de mission, qu’ils atteindront après trois jours de bus et de marche, je suis accueilli trois jours chez la NJS (Nepalese Jesuit Society), une maison où vivent des prêtres jésuites qui s’occupent d’un orphelinat pour garçon, un orphelinat pour filles et un centre pour personnes handicapées mentales et physiques que j’ai eu l’occasion de visiter. La veille du départ, le père Yann Vagneux, prêtre MEP, normalement basé en Inde et spécialiste du dialogue interreligieux avec l’Hindouisme, me donne rendez-vous dans le vieux quartier de Patan. En me conduisant au Golden Temple, c’est une véritable immersion dans le bouddhisme Newar qu’il me propose.
Au moment de nous séparer il me bénit, je suis prêt à me mettre en route pour Thokarpa, mon lieu de mission.


Épisode II – Mes débuts sur le lieu de mission, trouver ma place

Après un trajet en jeep plein de rebondissements (au sens propre) avec le father Silas, un prêtre Népalais, j’arrive à la New Aseptic School de Thokarpa où je rencontre le directeur de l’école, le father Lancy. Je suis tout de suite saisi par la beauté du cadre naturel dans lequel je vais vivre les trois prochains mois et je comprends ma chance. Des nuages épais et volumineux aux aspects parfois menaçants peuplent le ciel de leurs formes artistiques. La cours de récréation, plein ouest, est la promesse de couchers de soleils magnifiques sur les collines striées par les terrasses agricoles. Les routes et petits sentiers près de l’école sont autant d’invitations à apprivoiser les reliefs environnants, à sillonner la forêt où bruissent les locustes, à côtoyer les sources et les ruisseaux et enfin, arrivé sur les hauteurs, contempler au nord la grandiose chaîne de l’Himalaya par temps clair, qui semble flotter miraculeusement au-dessus des lointains bleutés.

Si la nature est belle, l’humanité l’est aussi, et je suis accueilli à bras ouvert par la famille de Binod Uprety, voisine de l’école, qui m’invite tous les jours avec le directeur pour les repas, toujours du dal baht, servi avec des légumes locaux et parfois de la volaille. On ne manque de rien au village même si la rusticité est de mise. Dans cette famille, comme souvent au Népal, jeunes et vieux vivent ensemble. Leur sens de la communauté familiale est très fort. Ici vivent aussi les parents de Binod, son petit frère Habinash et sa femme Bimala, et les enfants des deux frères. Parler népali n’est pas exactement comme une seconde nature chez moi mais je me sens pourtant proche de ces habitants des collines dont la gentillesse simple sait si bien abolir la barrière de la langue.

Je commence à suffisamment connaître le father Lancy pour vous esquisser son portrait. D’origine Indienne, il naît dans une famille catholique nombreuse et très pratiquante. Il prend la décision de devenir prêtre après le lycée. Depuis une quinzaine d’années il vit au Népal où il avait précédemment la charge d’une autre école catholique. Arrivé à Thokarpa il y a moins d’un an, il y connaîtra son premier hiver en même temps que moi. Quand je l’observe je me dis qu’il est parfaitement dévoué à sa tâche, à laquelle il se consacre discrètement et humblement, et avec constance bonne humeur. Cette constance d’humeur et de caractère montre qu’il puise son bonheur ailleurs que dans les circonstances, aussi heureuses soient-elles. Ce bonheur, il le porte en lui au plus profond de lui-même dans un jardin secret qu’il cultive avec soin (comme il cultive avec soin celui de l’école), sans égoïsme. Comment cultiver son propre jardin secret ? C’est une question à laquelle je pense qu’on ne peut donner de réponse universelle : à chacun de faire cette expérience vivifiante qui consiste à descendre au fond de son intimité pour y trouver l’axe central de son identité, par lequel il est et demeure lui-même.
Mais comment parler du village sans parler de ses enfants ? Pleins de vie ils habitent ces lieux de leurs cris joyeux, de leurs jeux et leurs courses effrénées et parfois aussi de leurs pleurs. Dans leur regard il m’arrive de discerner de l’émerveillement. Il y a vraiment quelque chose de profond dans la capacité d’émerveillement des enfants. Sans être enfantins, nous avons beaucoup à apprendre (ou réapprendre) des enfants. Pour l’enfant épanoui, tout est un événement, il ouvre grand les yeux sur le monde, il est ouvert à la vie.
C’est un euphémisme de dire qu’ils m’apprécient beaucoup, et je les trouve aussi très attachants. La proximité que j’ai construit en jouant avec eux après l’école dès les premiers jours, mêlée à leur enthousiasme naturel, en fait des élèves parfois très difficile à canaliser en cours ! Malgré cela je prends un plaisir immense à leur inculquer quelques rudiments mathématiques.

Épisode III – Vacances scolaires, petit périple à travers les collines

Comme tous les ans au Népal, le festival de Dashain, qui célèbre la victoire du bien sur le mal, est un moment de grande effervescence. Quittant les villes, la plupart des Népalais retournent dans leur village, souvent le lieu de leur enfance et point d’ancrage familial. Profitant des vacances de Dashain, je décide de faire dans un premier temps le mouvement inverse et rejoins Alban, Robin, et Guillemette (une autre volontaire fraîchement arrivée) à Katmandou. Nous passons un peu de temps avec Sister Stella, une religieuse Indienne établie au Népal, et celle-ci nous emmène pour quelques jours chez Nirmal, un de ses amis Népalais.

Nous sommes une fois encore très chaleureusement accueillis. Grâce au beau temps, nous avons l’occasion de contempler une grande partie de la chaîne de l’Himalaya, et pour la première fois j’aperçois le toit du monde. Après deux nuits chez Nirmal, ce-dernier nous conduit chez son ami Amol, à un jour de marche de chez lui. Nous traversons la ville de Panauti, la ville médiévale la mieux conservée du Népal car elle n’a pas souffert du tremblement de terre de 2015 qui avait dévasté le pays. Après une halte onirique et désaltérante au sanctuaire Namobouddha, nous arrivons à destination.

Voilà comment nous nous sommes retrouvés au cœur des collines népalaises en nous laissant porter par la circonstance, sans établir de programme. Chez Amol le programme est complet et nous nous permet de découvrir des traditions propres au festival de Dashain : nous recevons sur le front le tika, cette pâte de couleur rouge faite de riz et de yahourt, nous pouvons voir des guirlandes de fleurs appelées mala qui ornent les motos, goûter l’eau revigorante d’une rivière en contrebas, et bien sûr nous essayer à la balançoire en bambous (ping). Nous nous baignons dans une rivière en contrebas après une descente raide au cours de laquelle nous croisons des villageois portant sur leur dos un grand panier rempli d’herbes pour le bétail. Impressionnant !
Le lendemain je décide de me séparer de mes compères pour rejoindre Thokarpa qui me manque déjà et qui n’est plus qu’à deux jours de marche. Sur la route un chien errant se prend d’affection pour moi et décide de m’escorter. Étonnamment je ne me perds pas et j’arrive à bon port le surlendemain, heureux de retrouver mon village d’adoption après un dernier effort de mille mètres d’ascension sous la pluie.

Épisode IV – Vitesse croisière 

Voilà une quinzaine de jours maintenant que je suis de retour à Thokarpa après mon petit périple et que je goûte à la paisible vie du village. J’ai trouvé ma place ici et je commence à avoir des habitudes. Les journées se déroulent à peu près toujours de la même manière. Après la messe à 6h30 avec le father Lancy, je donne des cours de maths ou d’anglais aux les élèves des classes 4 et 5 (CM1 et CM2) en fin de matinée. Les élèves sont parfois un peu excités et indisciplinés mais en tous cas pleins de vie et de malice. Après les cours qui se terminent à 15h30, ils rentrent chez eux pour faire leurs devoirs et prendre une petite collation (souvent du riz pilé avec du lait et beaucoup de sucre). Puis ils reviennent à l’école pour leur moment préféré de la journée : celui du divertissement, des jeux de sociétés, et bien sûr de la classique partie de football qui se prolonge jusqu’au coucher de soleil et qui est devenue une véritable institution puisque des enfants et adolescents des villages environnants viennent parfois grossir les rangs des équipes endiablées.

Mais de temps à autre un événement vient enrichir cette petite routine. Témoin cette chasse aux abeilles à laquelle j’ai eu l’occasion de participer. Une famille voisine de l’école avait repéré un gros nid d’abeilles sauvages (aringal) juché en haut d’un arbre. À la nuit tombée, pour ne pas être vu et donc piqué par ces insectes, le petit commando dont je faisais partie s’est rendu sur place muni d’une très longue torche faite avec un bambou pour brûler le nid et ainsi récupérer le trésor protégé par ses gardiens ailés : les larves appelées maori. De retour au village, nous avons pu déguster ces véritables friandises de la jungle, pour reprendre le nom qu’ils donnent à cette végétation.

Hier, un autre festival a commencé, celui de Tihar, pendant lequel on allume de nombreuses bougies qui éclairent les maisons et on confectionne les mala, des guirlandes de fleurs. Après un dernier jour d’école où le directeur distribue des uniformes plus chauds pour l’hiver, les élèves sont de nouveau en vacances. Cette fois je reste au village pour découvrir les traditions des hindous, me rapprocher davantage des habitants et m’immerger plus en profondeur dans la culture népalaise. Les Uprety m’ont invité pour la cérémonie du bhai tika, durant laquelle les membres masculins de la famille sont mis à l’honneur et reçoivent le tika sur le front de la part de leurs sœurs. C’était une journée vraiment joyeuse pendant laquelle moi l’étranger je me suis senti accueilli et même adopté.

Conclusion – Comme un léger pincement au coeur

Après trois mois fantastiques de dépaysement, de découverte et d’amitiés au Népal, l’inévitable temps des adieux est arrivé. Aujourd’hui j’ai appris que je n’étais pas une brute. Dans la fraîche atmosphère matinale, caressé par une brise légère, je suis marqué par le calme sourd qui règne dans la cour de l’école, et profite plus intensément que d’habitude du spectacle grandiose que m’offre la nature.

C’est avec un léger pincement au cœur que j’assiste pour la dernière fois à l’assemblée quotidienne des élèves de la New Aseptic School. Je les regarde avec attention, scrute leur visage pour y lire leurs expressions et les graver dans ma mémoire, et prends pleinement conscience de la force des liens affectifs qui m’unit aux enfants des collines. Ces liens se sont tissés progressivement pendant toute la durée de ma mission sans que j’y prenne garde, au fil des heures de cours ou j’oscillais entre réprimandes et attendrissements devant leurs fautes parfois si drôles, au fil des jeux et des rires, des travaux dans les champs et des moments de convivialité le soir avec les familles autour d’un plat de dal baht ou d’un thé au lait.
Je retiendrai plusieurs choses des enfants et des habitants de Thokarpa. Je me rappellerai toujours le rire infiniment joyeux et contagieux des plus jeunes qui m’ont fait toucher du doigt la grande liberté et l’insouciance de l’enfance. Il y a aussi de rares instants privilégiés où l’intensité dans le regard aimant de certains enfants m’a touché au cœur. Enfin je n’oublierai jamais l’accueil ô combien chaleureux dont j’ai été honoré par ces familles de cultivateurs et par le père Lancy.
Oui, le Népal est un beau pays et les habitants des collines des gens dignes et pleins du bon sens de la campagne, vertu précieuse. Une chose est sure et adoucit la séparation : je reviendrai !
Et pour finir je souhaite adresser mes remerciements sincères et chaleureux à tous ceux qui ont soutenu financièrement le volontariat MEP !!
Guilhaume, Volontaire MEP
Népal, 2021
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