Lucile, architecte d’église

Lucile est architecte pour le diocèse de Port-Bergé à Madagascar. Entre églises, écoles, séminaires, ce n'est pas moins d'une quinzaine de projet qu'elle pilote durant son année de VSI.

Volontaire-architecte

Envoyée en tant qu’architecte pour le diocèse de Port-Bergé, situé dans le nord-ouest de Madagascar, mon rôle est de dessiner les plans des futures églises, écoles, maisons pour les sœurs, de rédiger les dossiers de demande de financement et d’épauler mon cher collègue, Emmanuel, lui aussi volontaire-ingénieur pour les Missions étrangères de Paris, dans le suivi des chantiers. Pour moi, il a longtemps été difficile de comprendre comment appliquer le fameux adage du volontariat : « être plutôt que faire ». Si je suis seulement assise devant mon ordinateur et que je ne fais rien, je ne fais rêver personne ! Toute la particularité de ma mission est que je ne suis pas portée chaque matin par les progrès des enfants à qui j’enseignerais le français ou même par les nombreuses sollicitations que pourraient m’adresser les ouvriers sur les chantiers (je réserve ce privilège à Emmanuel). Heureusement, Jésus n’est jamais bien loin et la messe quotidienne est une réelle source à laquelle je puise ma joie et je remets en ses mains mes craintes et mes difficultés.

Bien sûr nous ne sommes pas envoyés en mission pour éprouver de la satisfaction à la suite d’un travail accompli, pour recueillir compliments et remerciements. Néanmoins, il n’est pas toujours évident d’être seule face à la liste d’une dizaine de projets à dessiner. Je peux même me permettre de faire la fine bouche : à quoi vais-je m’atteler aujourd’hui ? L’église de 1500 personnes ou le séminaire de 60 chambres ? Le rêve pour tout architecte, me direz-vous ! Il m’arrive pourtant de douter : qui suis-je pour imaginer des projets d’une telle ampleur ? Comme tout art, l’architecture comporte une part de subjectivité, répondre à un programme ne fait pas de moi un bon architecte. J’aime alors glaner des idées et un avis auprès de tous ceux qui m’entourent, Emmanuel, les Pères Bertrand et Gabriel envoyés par les MEP, les prêtres et les sœurs, amis-volontaires à Madagascar, amis-architectes en France.

 

Je sème des graines dont les fruits se récolteront dans quelques mois, dans une ou deux années. J’ai pourtant bon espoir d’être présente lors de la consécration de l’une des églises en construction. Là, c’est le rêve inespéré de tout architecte catholique : prier dans une église dont je serai(s) l’architecte ! En toute humilité devant Dieu mais avec une petite pointe de fierté, je dois l’avouer. Et surtout en me réjouissant d’un travail que nous avons fait ensemble !

 

L’église de Pont-Sofia

Pendant mes études en architecture, j’ai rédigé un long mémoire sur un architecte méconnu mais qui « a construit le plus d’églises après la Seconde guerre mondiale », Pierre Pinsard. À la fin de ma soutenance, mon professeur me regarda avec un air un peu supérieur car il était sûr de m’avoir percée à jour (« c’est la catho de la promo ») mais avec le sourire (il m’aimait bien « quand même », entendons dans un milieu très athée) et il me dit : « c’est bien joli de faire un mémoire sur les églises mais tu n’en feras pas ton projet de fin d’études ! C’est fini, l’Église perd ses fidèles et ne construit plus. » Faux !

À Pont-Sofia, magnifique village entre fleuve et montagnes, la petite église en terre est devenue vétuste et trop petite pour accueillir tous les paroissiens. Le Père Bertrand, économe du diocèse et par extension responsable des projets de construction, a déjà fait dessiner et chiffrer un nouveau bâtiment pouvant accueillir 200 personnes. Il me demande d’améliorer un peu les dessins de l’entrepreneur. Je suis têtue alors je recommence tout à zéro et j’élabore six versions au choix.

La région montagneuse est riche en granit, il n’y a qu’à se baisser et à donner quelques coups de marteau pour en récolter à foison, profitons-en et construisons en pierre ! Il fait chaud mais le site est aussi très venteux. Alors, sur la façade est on s’en protège et on ménage peu d’ouvertures ; sur la façade ouest on dispose beaucoup de claustras qui laisseront pénétrer une lumière rougeoyante lors de la messe du soir en semaine. Le tout est donc de faire avec les moyens du bord, puisque nous ajoutons un toit en tôle, quelques murs en parpaings et un sol constitué d’une chape en ciment, de sublimer les techniques habituelles.

Cependant, je tente auprès du Père Bertrand quelques petites folies : des lucarnes sur la toiture et des décrochés dans le chœur pour apporter ici ou là une arrivée de lumière inattendue ; un aménagement du chœur où le baptistère, l’ambon et le tabernacle sont mis en valeur par l’avancée ou la rehausse d’une marche ; et des pavés de verre dans les tons bleu-vert-jaune (évoquant la nature) dans la nef de cette église dédicacée à Saint-François d’Assise, jaune-orange-rouge dans le chœur pour que la joie de Dieu l’illumine ! En France, les pavés de verre font un peu vieillot et très effet « salle de bain », mais, à Madagascar, ils me semblent être une bonne alternative aux vitraux, soit trop coûteux, soit trop kitsch.

Je pourrais écrire un roman rien que sur l’approvisionnement de ces pavés de verre en pleine période de Corona virus, et les personnes qui en ont suivi toutes les péripéties en riraient bien ! Ce n’est pas moins de trois fournisseurs aux quatre coins du pays, un mois, de nombreux coups de téléphone et mails qui m’auront été utiles pour trouver les quelques teintes différentes que j’aurais trouvé en un saut chez Leroy Merlin !

 

 

 

 

 

 

Certes, je ne contemple pas chaque jour le sourire de mes élèves ou de mes patients, me confirmant que je suis dans le droit chemin, mais j’apporte, avec les moyens que le Seigneur m’offre et mes petites compétences, ma pierre à l’édifice ! Et, le Seigneur a le don de me surprendre et de m’amener à sans cesse repousser mes limites, je ne compte plus mes déménagements, les changements de mission, c’est le « volontariat de l’adaptation » comme me l’a dit un ami. Pourtant, je mesure l’immense chance que j’ai : au mois de mars, avoir fait le choix de rester malgré l’arrivée du corona virus sur la grande île ; le refaire à nouveau aujourd’hui, alors que nous ne sommes plus que trois volontaires sur les quinze envoyés à Madagascar, car je n’ai besoin que d’un bout de table et de mon ordinateur pour témoigner de l’amour de Jésus et pour rendre visible le royaume de Dieu !

 

Lucile, volontaire MEP

 

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