Entre 7 et 20 ans, les jeunes sont pensionnaires de l’école, où ils vivent dans un écrin de verdure, de calme, et de joie. Au fil des ans, les élèves sont venus de plus en plus nombreux, et une deuxième « maison » a été créée pour accueillir et former ces jeunes.
Non loin de l’école se tient le « foyer ». C’est dans cette ferme bien tenue que vivent les grandes filles. Comme l’école, le foyer vise à être autonome au maximum, et les élèves participent à l’élevage des animaux (vaches, cochons, volailles, poissons, grenouilles) et à l’entretien du potager (bio !). Chaque jour, ils passent presque quatre heures à travailler pour la ferme, ce qui permet à l’institution de subvenir à la majorité de ses besoins alimentaires, et leur donne l’occasion d’apprendre l’élevage et le maraichage. C’est une belle responsabilité qui leur est confiée : celle de produire de quoi se nourrir eux-mêmes, et leurs camarades. Les Sœurs de la Charité ne se contentent pas d’accueillir ces jeunes pour leur inculquer des « savoir-faire », elles tiennent à ce qu’ils développent le « savoir-être ». L’entraide, le travail collectif, les responsabilités, le service, la prise d’initiative sont des choses qui ne sont pas toujours innées, mais qu’il est important d’acquérir lorsqu’on vit en communauté.
Les apprentis sont acteurs
Car c’est bien d’une communauté dont il est question ici ! Les jeunes passent presque toute l’année entre l’école et le foyer, ne côtoient que très peu le monde extérieur, et grandissent au seul endroit où la communication leur est possible. En effet, qui parle la langue des signes lao hors ces murs ? Les liens qui sont créés entre les élèves sont forts, mais les préparent peu à leur vie après l’école.
Ainsi, le foyer se présente comme un centre de formation professionnelle où les apprentis sont acteurs ! Les Sœurs de la Charité leur donnent des outils, des opportunités, des cours, mais c’est aux jeunes d’apprendre à s’en servir. Pendant les dernières années de leur scolarité, les élèves de l’école partagent leurs journées entre l’école et le foyer. Là ils peuvent apprendre un – voire plusieurs -métiers. Avec l’expérience qu’ils acquièrent ils pourront plus facilement trouver un emploi et poser les fondations d’un avenir stable, en dépit de leur handicap.
Aujourd’hui les Sœurs espèrent avoir les moyens de construire des petits studios pour héberger les grands qui ont terminé leur cursus, et sont désormais de jeunes professionnels. Ils auraient donc un sas d’adaptation entre leur vie à l’école, à l’abri, et leur nouvelle expérience dans le monde. Ces logements leur apprendraient l’autonomie, tout en restant dans un environnement familier. Ces jeunes ont des histoires individuelles variées. Certains viennent de familles plutôt aisées, d’autres sont sortis de la misère. Dans tous les cas, ils vivent dans un grand isolement avant d’arriver à l’école. Une année est nécessaire pour qu’ils apprennent le langage des signes, et enfin la communication devient possible. Les familles des enfants ne connaissent pas, ou très peu, cette langue. Les jeunes viennent de toutes les provinces du nord du Laos, parfois de villages très éloignés de Luang Prabang, et ne peuvent alors rentrer chez eux qu’une fois par an.
Leur scolarité à l’école de Luang Prabang signifie la fin d’un isolement, l’apprentissage de la sociabilisation, et l’ouverture de perspectives d’avenir bien différentes de celles qu’ils auraient eu en restant dans leur village. Dans ce cas, ils n’auraient jamais appris à lire, écrire et compter, et auraient sans doute passé leur vie à aider leurs familles à travailler dans les rizières.
En dépit des opportunités qui leurs sont offertes, tous ne vont pas toujours au bout de leurs études malheureusement. Comme souvent au Laos, les jeunes arrivent à un âge où ils préfèrent travailler pour gagner de l’argent que poursuivre leur apprentissage, même alors que le coût de la scolarité est pris en charge pour les élèves de cette école. Un mariage (probablement arrangé) peut aussi venir bouleverser les rêves d’avenir que les jeunes filles ont.
Aujourd’hui, ils ont la possibilité d’apprendre le tissage, la broderie, la couture, la menuiserie, la mécanique et la restauration. Pour valoriser leur apprentissage et leur donner les moyens de vraiment pratiquer, les Sœurs ont développé des commerces (« social business »). C’est ainsi que dans l’enceinte du foyer ont été ouverts un atelier de garagiste pour vélo et moto, une boutique d’artisanat (où trouver les produits tissés et cousus par les jeunes filles), et un café-restaurant. En plus de ces petits commerces ouverts au public, les différents corps de métiers travaillent pour des entreprises locales qui peuvent leur commander des housses de coussin tissées, la fabrication de tabourets, ou la préparation de confitures. Les visiteurs (touristes pour la plupart) peuvent également visiter la ferme, les différents ateliers et s’arrêter pour boire un jus de fruits frais !
Faire venir les touristes au foyer, et leur offrir les services des apprentis de l’école des malentendants est un moyen de donner de la visibilité aux projets, d’avoir des ressources financières complémentaires et de d’encourager les jeunes à persévérer dans leur apprentissage. Par ailleurs, cela leur donne l’occasion de se confronter au « monde extérieur » et d’acquérir de l’expérience avec des situations concrètes, dans un environnement familier et bienveillant.
Développer des partenariats, accompagner l’insertion professionnelle des jeunes
L’objectif des Sœurs est aussi de trouver des ressources alternatives pour financer le fonctionnement de l’école et du foyer. Actuellement, l’institution ne fonctionne que grâce aux dons et subventions de personnes morales ou privées. La Sœur Vong, responsable de la communauté, sait qu’il est important de pouvoir être aussi résilient que possible, et que cela passe non seulement par l’autonomie alimentaire, mais aussi par une activité génératrice de revenus. Elle fourmille d’idées pour donner des opportunités d’apprentissage aux grands, et développer le foyer.
Tous ces projets sont le résultat de bonnes volontés, de générosité, de courage et de temps : aussi bien de la part des Sœurs que des jeunes. Il n’est pas toujours simple pour des adolescents-jeunes adultes de savoir comment s’orienter professionnellement, de renoncer au confort du « cocon » dans lequel ils sont depuis des années, et d’apprendre à déployer leurs ailles.
En tant que volontaire, je participe à préparer les jeunes du foyer à leur insertion professionnelle, je soutiens les Sœurs de la Charité dans la levée de fonds pour les différents projets, je créé et entretiens des partenariats locaux et internationaux, et développe la commercialisation des activités de couture-tissage et du café-restaurant. Marginalement, j’enseigne également l’anglais et l’informatique.
À Rome, fait comme les romains.
Travailler au foyer, cela signifie vivre au foyer ! Vivre avec ces jeunes et avec les Sœurs ! Partager leurs repas, les aider à jardiner, les accompagner à la piscine ! Pour se mettre à leur hauteur, il faut aussi avoir l’humilité d’apprendre d’eux des savoir-faire : le lao, la langue des signes, faire du riz collant, tresser des paniers en bambou, et des savoir-être : la patience, l’écoute, la bienveillance. S’intégrer requière de faire des efforts sur tous les plans : en cuisine (ici, tout se qui bouge se mange), en confort (douche à la louche), en communication, etc. « A Rome, fais comme les romains » !
Aujourd’hui, comme chaque année, les élèves reviennent de leur village, avec une pointure de tong en plus et quelques kilos en moins, prêts à retrouver le havre de paix qui les prépare au jour de l’envol ! Ils accueillent la dizaine de nouveaux oisillons qui viennent compléter les bancs laissés libres par les élèves de dernière année en juin. Les quatre élèves finissant de l’an passé sont aujourd’hui mécaniciens, menuisiers, et animateurs-dessinateurs pour enfants. Ce sont de beaux exemples pour les plus jeunes qui peuvent espérer suivre leurs pas ! Voilà de quoi encourager les Sœurs et les volontaires à poursuivre une mission enthousiasmante qu’il faut soutenir par tous les moyens !
Marianne, volontaire MEP
de la Revue MEP n°555 – décembre 2019