Nous sommes en avril 2019 après Jésus-Christ. Toute l’Asie est occupée par une violente vague de chaleur… Toute ? Non. Un pays peuplé d’irréductibles Laotiens résiste encore et toujours à l’envahisseur. Et la vie n’est pas facile pour les deux volontaires MEP présentes sur le territoire depuis déjà plusieurs mois, qui peinent à supporter ces températures indues – nous ne donnerons pas de chiffre précis afin de ne pas choquer les âmes les plus sensibles. Les deux volontaires, c’est nous… Marie-Clotilde et Charlotte, envoyée dans ce pays trop peu connu : le Laos.
Au Laos, en avril, il fait chaud ! Comment vous dire ? Une douche à 5h45, une douche à 10h, à 14h, à 18h et à 21h30. En effet, l’étape incontournable et centrale de notre mission, c’est l’inculturation : nous avons donc appris la langue, appris les coutumes, appris à faire la sieste, et nous avons dû apprendre à vivre avec la chaleur. Et lorsque les douches ne suffisent plus pour se rafraîchir et que le désespoir vient accabler les pauvres volontaires, les Laotiens arrivent, avec la solution à tous les problèmes de l’humanité : ils décident d’arrêter de travailler et, à la place, de fêter le Nouvel An.
Attention, pas de vexantes confusions : le Nouvel An lao n’est ni le Nouvel An chinois, ni le Nouvel An vietnamien. Non contents d’avoir leur propre langue, leur propre gouvernement, leur propre alphabet, leurs propres danses et leur propre costume traditionnel, les Laotiens ont leur propre Nouvel An, célébré entre le 13 et le 16 avril. Au beau milieu de la saison sèche, c’est-à-dire à la période la plus chaude de l’année, on quitte uniforme scolaire et sage chignon pour revêtir chemise hawaïenne, lunettes de soleil et cheveux roses, jaunes, bleus : les possibilités sont multiples. Et surtout, chaleur oblige, on s’arrose ! Les plus jeunes s’arment de pistolets à eau – voire de fusils d’assaut inversement proportionnels à leur taille –, les adolescents s’agglutinent à l’arrière de jeeps devenues piscines, et les vénérables ancêtres, loin de rester sur le banc de touche, s’équipent de leur tuyau d’arrosage pour inonder toute moto prenant le risque inconsidéré de s’approcher de leur maison.
Tout ce joyeux désordre ne dure pas moins de trois jours spécialement fériés pour l’occasion, et la plupart des habitants ne se privent pas pour prolonger l’expérience et continuer la fête toute une semaine. On ne reprochera pas aux Laotiens leur manque de persévérance !
Derrière la bonne humeur, les rires, les piscines improvisées et la bataille d’eau nationale, le Nouvel An est chargé de sens. Le cœur de cette fête est l’ancien. La tradition est de passer à genoux devant les anciens (vieux et moins vieux) et de mettre de l’eau, qui symbolise la vie, dans leurs mains. Eux bénissent les jeunes à leur tour en leur versant sur la tête l’eau qu’ils ont dans les mains. Nous, volontaires dans la vingtaine, avons été alternativement anciennes et jeunes, mais il faut avouer que la position d’ancien permet d’arroser allègrement les plus jeunes, alors qu’en tant que jeune il est plus difficile de renvoyer une poignée d’eau à l’évêque… quoique celui-ci ait fini par céder de bon cœur à la tentation d’une petite bataille d’eau !
Vous l’aurez compris, le peuple lao aime faire la fête et ne s’en cache pas. Souvent, les Laotiens énumèrent tous les Nouvel Ans qu’ils célèbrent, ou les différentes fêtes traditionnelles qui animent leur pays. Tout est source de célébration, et la communauté catholique l’illustre largement : chaque weekend, dans les environs de Thakhek, un village peuplé d’irréductibles..ah non…un village laos, fête son saint patron et accueille à cette occasion toute la communauté chrétienne. Ces fêtes, ce sont trois jours où nous sommes plongées dans la tradition, trois jours où la mission d’inculturation devient prégnante. Le vendredi : nous participons à la procession dans tout le village pour bénir les maisons, puis à l’adoration dans l’église. Le samedi : nous allons à la messe pour le saint patron avant de jouer pour le tournoi de foot et d’aller boire et manger chez les uns et les autres. Et enfin le dimanche, c’est messe dominicale.
Pendant ces trois jours de rassemblement, nous prenons conscience de l’universalité de l’Église et de la force de la célébration. Nous avons découvert une communauté catholique en marche et pleine d’espérance. Ils ne se laissent abattre ni par leur faible nombre, ni par les restrictions qui leurs sont imposées, ni par leur pauvreté.
Le prétexte de la fête les met en mouvement et nous a mises, nous volontaires, en mouvement également. Car si nous n’avons pas été envoyées en mission pour faire la fête, il s’est avéré que celle-ci a fait pleinement partie de notre mission – et nous ne nous en plaindrons pas ! C’est dans les fêtes que nous avons pu découvrir le caractère laotien et nous intégrer véritablement à la communauté chrétienne du pays ; c’est par les fêtes que nous avons pu être un témoignage auprès de ceux qui n’avaient jamais vu d’occidentaux et leur montrer que nous étions tout à fait comme eux ; c’est encore lors des fêtes que nous nous sommes rapprochées de ceux qui nous étaient confiés, séminaristes et écoliers, et que nous les avons vu rire, chanter, danser et, finalement, rayonner de la joie de l’Évangile, faisant là la joie de notre mission.
Charlotte et Marie-Clotilde, volontaires MEP