Le plus grand trésor du Cambodge

Pèlerin sur le chemin de Saint-Jacques-de- Compostelle avant mon départ en mission, ignorant encore ma destination, je ne pouvais empêcher les visions d’un Orient inconnu et mystérieux de venir, comme une brume matinale, recouvrir les paysages de ma France natale. C’est assis devant la chaîne des Pyrénées, apparue à l’horizon le matin même, que j’appris mon envoi au Cambodge. Plein de confiance, je pouvais me laisser emporter par l’aventure… C’était il y a presque un an déjà et, au moment où j’écris, je suis à la veille de mon retour en France. Les visions ont cédé la place aux souvenirs. J’ai cueilli avec ferveur les joyaux de la mission comme on cueille une fleur rare. Le Seigneur en a semés tant sur mon chemin ! Avec une âme d’enfant, je me suis émerveillé devant la beauté d’un pays, d’un peuple et du Dieu qui fut le pont entre ce dernier et mon cœur de missionnaire. Certains de ces joyaux sont bien connus, leurs facettes polies par les multiples mains qui les ont tenus. J’ai vu la majesté d’Angkor Wat, qui dépasse l’imagination. J’ai plongé dans la forêt tropicale frémissante de vie comme dans les cascades du Mondolkiri qui rugissent au cœur des montagnes. Avec les derniers éléphants, je me suis baigné dans leurs eaux. J’ai contemplé la beauté rassurante des rizières, la silhouette des palmiers se dessinant à l’aube. J’ai subi la fougue des pluies de mousson, savouré le sourire des vieilles paysannes sur mon passage, la grâce des danseuses cambodgiennes. Dans la moiteur des nuits tropicales, j’ai écouté des mélodies ondulantes jaillies d’instruments étranges, goûté́ des fruits aux saveurs inconnues… Mais tout ceci n’est rien devant la richesse que j’ai trouvée au cœur même de ma mission !

Le grand défi de l’éducation

Depuis mon arrivée au Cambodge, je vis à la paroisse de l’Enfant Jésus à Phnom Penh, au sein d’un foyer pour garçons nommé Saint-Francisco. Le but de cette structure est de permettre à des jeunes issus de familles pauvres de pouvoir aller au lycée et étudier dans de bonnes conditions, ou bien de suivre une formation professionnelle à la capitale. Dans ma paroisse, il y a également une école maternelle, une école pour enfants autistes, un centre Maryknoll qui accueille les enfants des bidonvilles voisins. Il suffit de traverser la rue pour atteindre deux autres foyers : le foyer Light of Mercy et celui de la Providence, gérés par les Sœurs du même nom. Le premier accueille des enfants handicapés – aveugles, muets, sourds – ou issus de familles dites vulnérables. Le second accueille des jeunes filles également issues de milieux très modestes, afin de leur donner accès à une bonne éducation, un bon cadre de vie et de travail. Depuis presque un an, je suis plongé au milieu de tous ces jeunes, auxquels viennent s’ajouter les enfants des membres du staff de la paroisse, les jeunes du quartier qui viennent s’amuser dans notre cour. Chez chacun de ceux qui furent placés sur mon chemin, j’ai découvert un nouveau joyau, brut.

L’éducation est un des grands défis du Cambodge. Les jeunes qui arrivent dans nos foyers accusent un retard effrayant en partie dû au manque de professeurs dans les campagnes et à l’incompétence d’un certain nombre d’entre eux. Trop d’enfants ne vont pas à l’école. Plus tard, la corruption vient entraver leur parcours au lycée, car la plupart des professeurs gardent certaines parties importantes de leurs leçons pour les élèves qui viennent à leurs cours particuliers. Face à toutes ces difficultés, la jeunesse cambodgienne ne se laisse pas abattre ! Elle n’hésite pas à quitter sa famille, son village, sa région pour saisir l’opportunité lui offrent l’Église et diverses associations d’avoir accès à une bonne instruction. Et elle ne ménage pas ses efforts pour réaliser ses objectifs ! Au début de ma mission, je donnais des cours d’anglais et de français aux jeunes de mon foyer seulement. Trois mois plus tard, je devais organiser mes journées selon un emploi du temps précis pour pouvoir répondre aux demandes de tous les jeunes qui venaient à moi ! Je découvrais chaque jour une soif d’apprendre intarissable. Je me souviendrai toujours de ces enfants de la paroisse, venus me demander de leur consacrer un peu de temps pour apprendre l’anglais, sautant de joie et courant annoncer à leurs parents la bonne nouvelle après que j’eus accepté.

Cette jeunesse n’est pas seulement déterminée, elle est aussi talentueuse ! Je me souviens de cette rencontre avec une jeune fille à la décharge de Phnom Penh qui du haut de ses 12 ans parlait un anglais magnifique. Devant mon air étonné, elle m’apprit qu’elle étudiait à PSE et qu’elle voulait devenir médecin ! Au milieu de la misère la plus noire, elle était une lumière d’espoir éblouissante. J’ai trouvé dans mon foyer des musiciens qui, guitare en main, vous enivrent en quelques accords. La chorale de la paroisse, composée d’étudiants, vous transporterait en Asie du Sud-Est aussi sûrement qu’un vol long-courrier si vous pouviez l’entendre. Et que dire de la musique traditionnelle khmère, jouée par les jeunes handicapés de Light of Mercy ? De la danse ? Il faut avoir ressenti ces frissons intérieurs, cette nostalgie d’un temps passé que l’on ignore pour comprendre tout ce que les jeunes danseuses de nos foyers peuvent offrir de beauté et de lumière dans leurs souples ondulations. Oui, le plus grand trésor du Cambodge, c’est sa jeunesse ! Une jeunesse ardente et talentueuse, avide de grandir. Une lumière prête à jaillir pour chasser l’ombre de misère de tout un pays.

Néanmoins cette jeunesse porte un lourd tribut au passé de son pays. Mon rôle auprès d’eux ne fut pas seulement celui d’un professeur mais également d’un grand frère. Patiemment, j’ai appris à connaitre chacun, j’ai partagé leur vie, j’ai appris leur langue. J’ai tenté de leur offrir ce que j’avais de plus beau à donner : j’ai appris à les aimer. Dans leurs joies et dans leurs peines, à travers leurs réussites et leurs échecs, nous avons cheminé ensemble. Alors peu à peu mes yeux se sont ouverts à la dure réalité de leurs vies : la pauvreté́ parfois extrême, les familles brisées, les enfants abandonnés, les parents alcooliques, la mort, la solitude, la maladie… Derrière chaque jeune se cache un terrible secret. Au foyer Light of Mercy, les enfants porteurs de handicap ont subi les pires atrocités. Je connais une petite fille qui fut abandonnée dans un hôpital à sa naissance, presque morte. Une autre fut retrouvée dans la forêt, à moitié dévorée par les fourmis. Au Cambodge, le malheur est considéré comme la conséquence d’une faute commise dans une vie antérieure. Ainsi en est-il du handicap. Beaucoup de handicapés ne sont pas considérés comme des personnes, et grandissent dans un vide affectif abyssal. Certains enfants ont été utilisés comme esclaves, brutalisés, violés. Il faut une patience et une charité immense pour leur redonner, jour après jour, la conscience de leur valeur aux yeux de Dieu et des hommes. On ne peut comprendre un cœur autant blessé qu’avec le secours de la Grâce. […]

Jamais je n’ai autant eu conscience de la beauté de l’homme, de la dignité de chaque créature de Dieu, que devant le spectacle de ces enfants qui jouent, créent, apprennent, chantent et dansent, ajoutant chaque jour une pierre à l’édifice de leur avenir. Les foyers que j’ai servis ne sont pas de simples moyens d’accéder au savoir et à un avenir, ce sont des foyers de fraternité et de joie, de beauté et de vie. Oui j’ai vu la misère dans la vie de ces jeunes. Mais qui décrira la fierté que l’on ressent lorsque, sachant cela, on voit se former des hommes et des femmes courageux, fervent dans le don et le service, prenant soin du plus faible, bataillant pour obtenir un métier et un avenir ? Qui d’écrira l’émotion ressentie lorsque ces mêmes jeunes avouent désirer la réussite pour voler au secours de leur famille dans le besoin ?

Au premier jour de ma mission, je découvrais dans la cour une multitude d’enfants en train de courir partout en attendant le début de l’école maternelle. Je commençais à jouer avec eux, et découvris bientôt un jeu qui leur plu particulièrement : simplement les prendre dans mes bras et les projeter en l’air pour les rattraper. Bientôt, je devais organiser une file pour que chacun attende son tour, car ils étaient tant à s’agripper à mes jambes que j’en perdais l’équilibre ! Ainsi, le premier geste que j’accomplissais au Cambodge allait symboliser ce que j’ai tenté de faire de mon mieux par la suite : aider chaque jeune à s’élancer vers les cimes de leurs vies futures. Et toi, jeune français qui me lis, qu’attends-tu pour te faire le serviteur de cette jeunesse ? Pour goûter aux joies simples, aux jeux, aux rires, à l’amour inestimable dont elle m’a submergé ? Tu tiendras alors pendant quelque temps dans tes mains respectueuses, le plus grand trésor de tout un peuple.

Pierre-Alexandre, volontaire MEP

extrait de la Revue MEP n°563, octobre 2020
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