Une année de don de soi et de joie partagée

Laurence Coppieters a 23 ans. Après avoir terminé des études de kinésithérapie, en juin 2021, à Louvain-la-Neuve en Belgique, elle a été envoyée en mission à Jalpaiguri, en Inde. Elle témoigne.

Avant de commencer ma carrière professionnelle, j’avais envie d’offrir mon temps et mes talents reçus au service des autres. C’était l’occasion d’être confrontée à mes propres limites, en apprenant à mieux me connaître et en sortant de ma zone de confort. Le pape nous disait, lors des JMJ en Pologne : « Sortez de vos canapés et mettez des chaussures à crampons. » J’ai fait de nombreuses années de scoutisme durant lesquelles mon goût de l’aventure est né. Découvrir une autre culture et me rendre compte de la façon dont vivent d’autres personnes qui partagent la même planète est quelque chose qui me tient à cœur. C’est ainsi qu’à l’issue d’une semaine de formation, j’ai été envoyée en mission à Jalpaiguri, dans le nord-est de l’Inde. J’ai passé un an en tant que volontaire auprès de l’ONG Howrah South Point (HSP). Cette organisation, fondée par le père Laborde en 1976, vient en aide aux plus démunis, plus particulièrement aux enfants handicapés, aux jeunes mères des slums et aux enfants issus des familles les plus pauvres. L’ONG compte une dizaine de maisons réparties à différents endroits de l’État du Bengale occidental. J’ai habité pendant un an à Bakuabari dans les environs de Jalpaiguri, entre le Népal, le Bhoutan et le Bangladesh.

Arrivée et impression

Dès la première minute passée en Inde, j’ai réalisé que j’avais atterri dans un pays avec des habitudes et des mœurs inconnues en Belgique. Au siècle de l’uniformisation des modes de vie, ces particularités font le charme de l’Inde et donnent le sentiment d’être « dans un autre monde ». Une des premières choses qui m’a marquée dans les rues de Calcutta et encore plus dans les campagnes de Jalpaiguri, c’est le regard des gens. Pas uniquement pour mon visage blanc et ma taille qui fait que je dépasse les Indiens d’une tête, mais surtout parce qu’ils n’ont pas le regard scotché sur leur téléphone comme en Europe. Les Indiens observent tout ce qui se passe autour d’eux et s’émerveillent de petites choses. Ils sont attentifs aux détails, ce qui nous échappe ne leur échappera pas.

Ma mission

J’ai été envoyée en tant que kinésithérapeute, mais on ne m’avait pas vraiment précisé ce que j’allais devoir faire. Au bout d’une semaine, je me suis demandée comment j’allais pouvoir, moi, tout juste diplômée, apporter des changements dans ce centre au milieu de ce pays tellement désorganisé. Car les Indiens n’ont pas d’agenda, tout se communique par téléphone le jour même. Au niveau de la kinésithérapie, nous avions des séances d’une heure trente le matin, tous les enfants venaient en même temps, chaque didi/dada (éducateurs) prenait un enfant plus ou moins au hasard. On en avait vingt simultanément dans la salle avec quatre didi pour la prise en charge. Le résultat était plutôt chaotique. Je me suis donc attelée à réorganiser ces séances (avec les quelques mots d’anglais que comprennent les didi et les quelques mots de bengali qui font partie de mon vocabulaire) afin que chaque enfant soit suivi par une didi. J’ai aussi pris le temps de refaire un bilan complet de chaque enfant et de construire un programme adapté afin qu’il puisse progresser le mieux possible. Les didi/dada n’ont pas vraiment eu de formation de physiothérapie. Certains ont été formés par des organisations internationales comme kinés du monde, mais la majorité a quitté l’ONG. On m’a donc demandé de former les nouveaux physiothérapeutes et faire un rappel pour les quelques anciens, puis on m’a demandé de combien de temps j’avais besoin. J’avais envie de leur dire que je n’avais jamais formé d’équipe auparavant, puis j’ai répondu : « Un an », car je restais un an sur place. Voilà mon premier défi de mission.

En février, nous avons eu un relâchement des mesures Covid-19. Avec le centre qui a un bon niveau en physiothérapie, on s’est dit que ce serait formidable d’accueillir les enfants des alentours ayant besoin d’un traitement. À l’entrée de Bakuabari, il y a un ancien restaurant qui a fermé, le bâtiment était inutilisé. Pourquoi ne pas le transformer en centre d’accueil pour la physiothérapie ? La semaine d’après, nous avons commencé l’accueil des outside children tous les mardis et jeudis. Nous avons donc rapidement formé une équipe physio intercentres et nous avons continué, sans relâche. Déjà, plus de soixante-dix enfants ont bénéficié de soins. La majorité d’entre eux se présente avec des pieds bots qui n’ont pas/plus été soignés pendant ces deux ans de confinement, d’autres déformations congénitales, des paralysies cérébrales sous des formes diverses (hémiplégie, diplégie, quadriplégie, etc.), des retards mentaux, etc. HSP les aide financièrement car, pour certains, un plâtre de douze euros revient à plusieurs mois d’économies. Nous recommandons également aux parents des exercices à faire à la maison.

Les paroles d’une didi m’ont vraiment touché, lors de la physio du matin : « Sister, j’aime beaucoup la physio. On peut aider les enfants à progresser« . De plus, on passe un super moment ensemble. Pratiquer la physiothérapie le matin me met de bonne humeur, ça me donne un élan pour la suite de ma journée. » Venant d’une personne qui n’a jamais choisi de devenir physiothérapeute, cela m’a mis du baume au cœur, ma mission était réussie. Elles ont compris le vrai sens de la kinésithérapie. À côté de mon travail de kiné, je participe à la vie du centre et à l’éducation des filles, par des activités éducatives ou des cours d’anglais. Quelle joie d’aider à grandir tous ces enfants ! Ce sont comme des petites étoiles qui scintillent chaque jour un peu plus.

Les événements marquants

Chaque journée en Inde est exceptionnelle, on n’imagine pas le matin tout ce qui peut nous arriver. Le monde indien est très last minute. Cette vie simple auprès de ces enfants qui nous font confiance me permet de comprendre qu’il en faut peu pour être heureux. Pour HSP, « chaque être humain est une étoile qui mérite d’avoir la chance de briller ». Ces enfants, qui ne sont peut-être pas nés sous les meilleurs auspices, auront la chance de recevoir des soins, de la nourriture et une scolarité. J’ai passé une année pleine d’aventures et de beaux moments. En voici trois.

Le premier moment mémorable fut les Annual Sports HSP Jalpaiguri. Tout se passe à l’instar de la cérémonie d’ouverture des Jeux olympiques : trois enfants portent la flamme olympique et font le tour du terrain, suivis par une danse de quelques fillettes. Puis s’enchaînent les différentes épreuves adaptées à chacun. Nous avons la course patate-cuillère, la course à reculons des dada, la course à l’aveugle, le ball and bottle, etc. La matinée se termine par des danses et un magnifique concert animé par notre brother, Emmanuel, un volontaire MEP. L’après-midi, les jeux sportifs reprennent. À la fin de chaque épreuve, les trois premiers sont récompensés. Les trophées ne sont pas choisis au hasard. Les traditionnelles médailles d’or, argent et bronze qui finissent dans nos placards, sont remplacées par une grande assiette pour le premier prix, une plus petite pour le deuxième prix et un gobelet pour le troisième prix. Les autres se voient remettre un bati (un bol pour la soupe de dhal car beaucoup d’enfants n’en ont pas). Pour d’autres épreuves, le premier prix est un grand seau qui sert à se laver et faire sa lessive (la plupart se lavent dans un vieux pot de peinture), le deuxième prix est un petit seau et le troisième prix reçoit un bol à puiser de l’eau. Le sourire des enfants qui arborent fièrement un sceau, une assiette ou un bol vaut toutes les médailles d’or.

Un autre événement marquant fut mon passage dans les Teagarden. Le 6 août 2022, je me réveille comme d’habitude à 6 h 30, puis j’hésite entre rester habillée en courti ou mettre un sari. Ce qui aura des conséquences pour la suite. J’opte pour le sari et nous démarrons vers 8 h 30. C’est parti pour l’aventure. Une matinée pour faire 50 km à travers la jungle avec différents modes de transport : voiture, toto, bus, convoi. Nous arrivons finalement à Bagrakot Tea Garden, où nous retrouverons le papa de Sadana et Sandip, deux enfants des centres d’HSP, qui sera notre chauffeur personnel pour toute l’expédition. Nous faisons une tentative pour aller visiter la Tea Factory, mais ils me prennent pour une touriste et je ne peux malheureusement pas rentrer. Il me faut montrer patte blanche, Daliyadi, la dada de mon centre, appelle un médecin de Kolkata qui accepte après m’avoir également eu au téléphone, et qui me donne rendez-vous à 16 h 30 devant le factory. Entre-temps, nous rendons visite aux différentes familles d’enfants qui ont été confiés à HSP ; celle de Sadana et Sandip, où je teste la résistance de mon estomac avec de l’eau locale (au final je n’aurai pas de maux de ventre). Ensuite, je me dirige vers la maison d’Ashadi, une éducatrice de mon centre, où je mange un festin de légumes et de poisson. Après le repas, nous partons en direction de la maison de Janbi, où règne une paix incroyable. Tous les enfants des voisins y viennent également pour jouer. Nous terminons par la maison d’Ankita qui a un bébé d’un mois et demi. Quand arrive l’heure de notre rendez-vous à la Tea Factory, cette fois, on me déroule le tapis rouge, la manager nous reçoit et me fait une visite privée de l’usine en anglais. Nous terminons par une dégustation d’un duth cha (thé au lait) ajusté à nos goûts, incroyablement bon ! Après un bel échange, nous nous dirigeons vers la sortie pour rentrer à Bakuabari, mais, malheureusement, c’est le déluge, la nuit va tomber. Il est impossible de rentrer en sécurité car nous devons passer par la jungle avec la possibilité de croiser un éléphant ou un tigre dans cette région. Nous décidons de passer la nuit sur place. Je me rends compte que de passer la nuit en sari risque d’être assez inconfortable. Mais c’est sous-estimer l’incroyable sens de l’hospitalité des Indiens. Ceux-ci m’apportent une nouvelle tenue, une brosse à dents, etc. Je suis choyée comme une reine. Le soir, on me sert du paneer (entre du tofu et du fromage), ce qui est un repas de fête. De plus, j’ai un lit pour moi seule, alors qu’ils vivent, à sept, dans une maison grande comme une cabane de jardin, et n’ont que trois lits. Le matin, on me sert des lucis (des chapattis frits), puis nous repartons pour Bakuabari. Dans les Tea Garden, il n’y a l’eau courante que le matin et le soir, pendant une demi-heure. Tout le monde se tient prêt pour remplir les bidons, plats et récipients de la maison. Cela fait réfléchir quand nous n’avons qu’à ouvrir le robinet pour avoir de l’eau froide et chaude. Petit détail au passage : pour aller aux toilettes, il faut passer par l’étable des vaches. La journée, lorsqu’il fait clair tout va bien, mais, la nuit, sans éclairage, c’est un peu l’aventure. Cependant, je retiens ce magnifique exemple d’hospitalité indienne et sens de l’accueil dans cette famille de Tea Workers.

Finalement, le point culminant de ma mission : la physiothérapie. Les enfants qui se sont mis ou remis à marcher (après la Covid). Le verset de la Bible « Lève-toi et marche » prend vraiment sens à mes yeux. Quelle joie, pour eux mais également pour moi, de les voir faire leur premier pas seuls ! Je pense aussi aux déformations congénitales que nous avons pu redresser par des opérations, des plâtres et la physiothérapie. Un garçon de 14 ans, avec des pieds bots assez prononcés, me disait après son opération : « Sister, je vais pouvoir refaire du foot comme les autres enfants, c’est génial ! »

Évolution personnelle

Cette aventure va me marquer pour la vie entière. Utiliser les talents reçus pour aider son prochain et être attentif aux besoins des autres fait partie de l’enseignement du Christ. J’ai passé beaucoup de temps avec les éducatrices qui se donnent sans compter. Certaines sont présentes 24 heures sur 24. J’ai essayé de comprendre quels étaient les talents de chacune, pour les mettre en valeur au service des enfants. Le sourire donne de l’énergie et, surtout, il dépasse les frontières. Tout est plus simple quand on le fait avec le sourire, qu’on aime et qu’on comprend ce qu’on fait. Un matin, on avait une discussion avec les didi sur le déclencheur de motivation du matin, une m’avait répondu : « Le petit-déjeuner », l’autre : « Le thé » et une m’avait dit : « Le sourire et te voir sourire, sister ! » J’ai appris à travailler la patience, profiter du moment présent et ne pas toujours penser à ce qui va se passer ensuite. En Europe, on pense toujours à ce qui va se passer après, la simplicité et le last minute indien m’ont appris à être pleinement dans l’instant présent. Profite de l’instant présent et ne pense pas toujours à ce qui suivra car cela handicape une partie du plaisir.

« Bien que le temps passe, je me rappelle mon premier grand camp guide. Et le jour de ma promesse, un beau matin d’été. J’y pense souvent et je reste fidèle. Joyeux souvenir reste avec moi, accompagne-moi toujours ! » Ces paroles du chant Accompagne-moi toujours, me reviennent souvent et me rappellent l’été 2012 à Molino de Calcina où j’ai répondu à la question « Combien de temps es-tu prête à servir ? » : « S’il plaît à Dieu, toujours. » Ces mots m’ont portée pour vivre chaque jour de ma mission en Inde. Il y a dix ans, j’avais préparé cette promesse en choisissant d’approfondir l’article de loi « La guide est faite pour servir et sauver son prochain ». J’ai vécu cela très concrètement. Ma formation de kinésithérapeute me permettait de servir ces enfants porteurs d’un handicap et j’essayais d’apporter, à chaque enfant, un meilleur suivi. L’ONG HSP a permis de les sauver. S’ils n’étaient pas pris en charge, leurs familles, très pauvres, n’auraient pas eu les moyens de les soigner et, parfois même, de les nourrir. Ici, ils sont soignés, nourris et suivent une scolarité adaptée à leur situation personnelle. Pour ma part, je voudrais conclure avec une phrase de mère Teresa : « La vie est un défi à relever, un bonheur à mériter, une aventure à tenter. » Cette année de mission était, pour moi, une immersion en terre inconnue remplie d’aventure, de don de soi et de joie partagée.

extrait de la Revue MEP n° 589, février 2023

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