Constance Périn raconte l’autre facette de la vie à Maurice, loin des cartes postales faite de plages paradisiaques, de palmiers et d’eau cristalline. Celle qu’on ne voit pas et où les conditions de vie sont difficiles dans certains endroits, et la pauvreté bien présente.
Maisons en tôle, chiens errants, alcool et drogues, familles décomposées, recomposées et encore décomposées sont au cœur du village où j’habite, à Batimarais. Ce n’est pas ce à quoi on s’attend en arrivant à Maurice. Mais joie, simplicité, générosité et chaleur humaine sont profondément ancrées chez chaque Mauricien et nous feraient – presque – oublier ces conditions de vie. C’est juste à côté de ce village que des sœurs salésiennes venues d’Inde ont décidé de créer la Salesian Home en arrivant en 2003.
Aujourd’hui, ce Home accueille quinze filles handicapées mentales (schizophrénie, alzheimer, autisme, bipolarité, trisomie, etc.). C’est là que les MEP m’ont envoyée, dans ce centre perdu au milieu des champs de canne à sucre. Entre mes cours d’alphabétisation – neuf d’entre elles ne savent pas lire, il y a un taux d’illettrisme très élevé à Maurice –, et les nombreuses activités proposées comme la broderie, le jardinage, le yoga et la zumba, les résidentes n’ont pas le temps de s’ennuyer. Un peu après mon arrivée, j’ai réalisé que j’étais quand même inutile. Faire de la zumba avec elles, galérer à leur apprendre l’alphabet, enlever des mauvaises herbes et couper des fruits, jouer au domino, etc. Pas très utile. Mais une phrase qu’on nous a dite à la formation MEP m’est revenue à l’esprit et a pris tout son sens : « On est là avant tout pour être, avant de faire. » J’ai donc arrêté de chercher des résultats et je me suis rendu compte que les résidentes appréciaient ma simple présence. Que je prenne le temps de gérer leurs crises – parfois violentes – ou de faire le jardin avec elles, c’est déjà énorme pour elles. J’ai pu vraiment construire un lien particulier avec chacune, et c’est tout aussi précieux pour les filles que pour moi.
Le lien avec les enfants de mon village ne fait pas vraiment partie de ma mission à la base, mais il en est devenu partie intégrante. Des enfants, souvent issus de situations familiales compliquées, viennent sonner chez moi dès qu’ils le peuvent, venant chercher l’attention qu’ils ne trouvent pas ailleurs, et je passe beaucoup de temps avec eux, redoutant le moment des « Au revoir ». Batimarais appartient à la paroisse du Sacré-Cœur de Rivière-des-Anguilles ; elle regroupe quatorze villages et quatre églises pour un seul prêtre, le père Joseph, MEP également. Le manque de prêtres est un gros problème à Maurice, certaines paroisses n’en ont aucun. Mais celle-ci est très active, et j’ai la chance de donner des cours de catéchisme, tous les week-ends, aux enfants pauvres. Entre les résidentes, les enfants de mon village et de la paroisse, je reçois des petites claques quotidiennes de pureté, d’insouciance, de joie et de simplicité.
La face cachée
Ce qui m’a frappée au cours de ces derniers mois, c’est le réel fossé entre les sites touristiques et le vrai Maurice local. D’abord, d’un point de vue économique. Dans mon village, une eau de coco coûte 25 roupies, (0,50 €). Dans les endroits touristiques, c’est minimum 300 roupies (6 €), soit douze fois plus. Le salaire moyen d’un Mauricien est d’environ 450 €, et le minimum est de 330 €. Donc beaucoup d’entre eux n’ont jamais vu les plus beaux endroits de leur pays. Ce n’est, bien sûr, pas une généralité pour tous, je suis dans un des villages les plus pauvres de Maurice, mais la réalité est bien là. On associe souvent plage paradisiaque et richesse. Mais, parfois, en tournant le dos à cette eau cristalline qui fait rêver, on aperçoit des tas de poubelles, des maisons en ruines ou en tôle, et des familles qui habitent à huit dans une seule pièce. La drogue est aussi devenue un fléau dans le pays. Les jeunes des quartiers pauvres tombent rapidement dans la délinquance et le trafic. C’est une échappatoire pour eux, une sorte de « solution facile » pour aider leur famille à acheter de quoi vivre. Ils ne reviennent plus jamais à l’école et se retrouvent bloqués dans ce business. L’île est aussi une mosaïque culturelle. Avec ses 60 km du nord au sud et ses 40 km d’est en ouest, Maurice est invisible sur la carte du monde. Pourtant, c’est un paradis de richesse et de diversité. Religions, origines, cultures, et langues se mélangent, créant un vrai vivre-ensemble qui me frappe au quotidien.
Un pays multireligieux
À Batimarais et partout ailleurs, on peut entendre dans les dix mêmes minutes les cloches de l’église, les cloches du temple hindou et l’adhan (l’appel à la prière musulman). C’est un pays très multireligieux, la vie des habitants est rythmée par les fêtes hindoues, catholiques et musulmanes. Près de 50 % des habitants sont hindous, pourtant les autres religions ont tout autant leur place. Beaucoup travaillent ensemble, chacun se nourrit de la foi de l’autre, que sa croyance soit la même ou non. Il y a très peu d’athées; en trois mois, je n’en ai encore jamais rencontré. Maurice, c’est une culture qui en mélange plusieurs : pour la nourriture par exemple, il y a beaucoup d’influence indienne et chinoise, alors que, pour la musique, ce sont plutôt des rythmes et des sons africains. Il y a donc une grande diversité parmi les Mauriciens, mais aussi une hospitalité qui les relie tous : chacun est une leçon de gentillesse et de générosité. Pas un ne fait exception.
extrait de la Revue MEP n° 605, juillet-août 2024