Envoyé entre ma deuxième et dernière année d’école d’ingénieur à Madagascar en tant que volontaire, je mets mes compétences fraîchement acquises au service du diocèse de Port-Bergé en m’occupant de suivre les nombreux projets de construction d’écoles, d’églises, de maisons d’accueil, etc. Me voici sur l’île Rouge depuis maintenant cinq mois, aux rennes d’une mission ouverte, il y a une dizaine d’années, par le père Bertrand. Une mission magnifique par son intensité, tant technique que culturelle et humaine.
Une Église bâtisseuse
À mon arrivée, j’ai découvert une Église qui bâtit à tour de bras des écoles au fin fond de la brousse, des églises capables d’accueillir mille personnes, des dispensaires permettant de donner des soins aux plus démunis, et Dieu sait qu’on n’en manque pas ici. Pour faire un rapide bilan, en 2022, le diocèse a construit vingt-deux salles de classe d’une capacité de cinquante élèves chacune. Que ce soit en brousse ou au bord du goudron, il y a un vrai besoin d’infrastructures pour l’éducation et je suis heureux de voir que l’Église participe à cette noble tâche, comme c’était le cas en France auparavant. Toujours la même année, nous avons construit trois églises en brousse qui permettent aux communautés chrétiennes naissantes de se retrouver pour prier. Ces églises jouent aussi un rôle d’évangélisation auprès des villageois qui ne priaient pas avant et qui, attirés par le béton solide et les tôles rutilantes, viennent découvrir la foi.
L’année 2022 a aussi été l’année de la fin de la construction du dispensaire de soin à Port-Bergé. Les sœurs hospitalières de la Divine Miséricorde ont emménagé dans les locaux tout neufs et préparent le centre pour son ouverture dans le courant de l’année 2023. Ce centre sera capable d’effectuer des consultations normales et prénatales, des examens biomédicaux, des vaccinations et de la prévention auprès de la population environnante de Port-Bergé. En 2023, le programme des constructions est, lui aussi, chargé. Huit églises, dont une capable d’accueillir huit cents personnes, quatorze salles de classe, dont huit en brousse, et deux maisons d’accueil sont prévues à travers le diocèse de Port-Bergé. Concrètement, quelle est ma mission dans tout cela? « Suivre les chantiers », voilà un terme bien vague! Pour réduire les coûts, le père Bertrand n’engage pas d’entreprise de construction, mais seulement un chef de chantier et une équipe d’ouvriers. Le chef de chantier établit un devis estimatif des matériaux, coordonne son équipe, résout les problèmes de terrain et assure une expertise technique permanente sur le chantier. Ainsi, le terme « suivre le chantier » englobe tout le reste.
« Il y a un vrai besoin d’infrastructures pour l’éducation. »
Suivi de chantier
En amont du chantier, je dessine les plans en collaboration avec les différents acteurs concernés. Quand cela est nécessaire, c’est-à-dire quand le plan sort du schéma type et que la structure est un peu complexe, je dimensionne le béton armé des poteaux et des poutres du nouveau bâtiment. Enfin, je reçois, relie et négocie le devis et le contrat de main-d’œuvre soumis par le chef de chantier. Au cours du chantier, je paye le salaire des ouvriers, commande les matériaux de construction et m’assure qu’ils arrivent à bon port, si possible dans les mêmes quantités qu’au départ. Je passe aussi un certain temps à tenir une comptabilité régulière et un suivi des matériaux pour chaque chantier – traumatisés d’Excel s’abstenir !
Je me rends enfin sur le terrain le plus souvent possible, mais quand le chantier est à 150 km au fin fond de la brousse, cela devient compliqué. À la fin du chantier, j’effectue un compte rendu bilan et je fais la fête avec toute l’équipe. Par ailleurs, je me rends souvent à la prison de Port- Bergé, où le père Gabriel a monté un atelier de maroquinerie pour les prisonniers. Là, je passe du temps avec l’équipe de l’atelier et aide le père Gabriel dans la gestion du projet. L’objectif de cet atelier est de faire sortir les prisonniers de leur quotidien monotone, de leur redonner de la dignité en leur apprenant un métier justement rémunéré. À mi-chemin entre la mission des chantiers et l’atelier de cuir, je m’occupe enfin de suivre la construction d’un puits à la prison pour pallier le manque d’eau pendant la saison sèche. Là, j’ai pu passer du temps avec les prisonniers qui travaillaient pour leur apprendre à faire les buses — anneaux de béton que l’on pose dans le puits pour éviter l’effondrement de la terre. J’aime beaucoup cette mission car c’est du temps passé avec eux, la pelle en main, pour accomplir quelque chose qui servira à tous les prisonniers.
Toucher à tout
Du haut de ma courte expérience professionnelle cela fait un programme chargé, mais j’ai la chance de pouvoir compter sur l’aide et l’expérience des anciens volontaires de la mission, du père Bertrand qui est à la fois là quand il y a besoin d’aide, mais qui me laisse aussi beaucoup d’autonomie et, enfin, de Malgaches qui connaissent la mission depuis longtemps et dont le conseil est précieux.
Ce que j’aime beaucoup dans ma mission, c’est de pouvoir toucher à tout, des plans jusqu’à la comptabilité, de l’étude technique jusqu’à la gestion des problèmes humains. Non seulement je touche à tout, mais j’ai aussi une grande autonomie sur chacun de ces domaines. À la différence d’une entreprise où les processus seraient déjà bien rodés, ici l’organisation est à la malgache. C’est- à-dire, par exemple, qu’un contrat est une feuille de papier sur laquelle on a écrit un montant et une signature. Il y a donc beaucoup de place pour la création de nouveaux outils de gestion ou de calcul. C’est un apprentissage très enrichissant puisque, d’une situation donnée, on identifie un problème et, ensuite, on se casse la tête pour trouver la solution la plus adaptée. Enfin, ce qu’il faut surtout apprendre, c’est qu’on est à Madagascar et que l’objectif n’est pas la performance, que malgré tous les beaux outils, que malgré toute l’amélioration continue, on est là, d’abord et avant tout, pour l’humain.
L’objectif est de scolariser des enfants, de permettre à des chrétiens de se réunir, de soigner les malades, mais pas de réaliser un profit. C’est une perspective à la fois rassurante et frustrante, car il faut accepter de se faire voler un sac de ciment ou de se faire filouter sur un contrat de main- d’œuvre. Pour reprendre ce que dit saint Paul, je pourrais avoir la plus belle organisation possible, je pourrais avoir des résultats optimaux, s’il me manque l’amour, cela ne me sert à rien. Bien qu’elle ait toujours un peu de mal à passer, c’est, pour moi, l’une des grandes leçons de la mission.
extrait de la Revue MEP n° 590, mars 2023