La Route de ma Foi

Si vous connaissez la Route de la Foi, alors peut-être aurez-vous entendu parler de Maxence. Voici l'homme derrière la caméra. Ancien volontaire MEP au Vietnam, il raconte, à travers cet article, la double mission qui lui a été confiée.

Paris, France

À dix-huit ans, victime de vacances estudiantines trop longues et en proie à l’oisiveté, mère de tous les vices, je saisis la chance de partir en Inde avec les MEP. Il ne s’agit pas d’un volontariat mais d’un voyage à la découverte du pays et de son Eglise. C’est mon premier grand voyage en routard, je découvre alors le volontariat et la Mission.

Sept ans plus tard, il est temps. ll est temps pour moi de partir, temps de me mettre en service, puisque du temps j’en ai à nouveau. Les motivations sont variées : goût de l’aventure, envie d’Asie, désir d’expérience de foi, d’apprendre une autre langue, de découvrir une autre culture… mêlé à tout ça, d’une évidence obscure et inconsciente, un timide souhait de me mettre au service.

Le Père Bernard, responsable du volontariat, me propose — dix minutes après avoir fait ma connaissance — de faire le tour des missions dans le but de réaliser des reportages sur les volontaires puisque je sors alors d’une école de Cinéma. Depuis ce premier voyage en Inde, j’entretenais parfois le rêve éveillé — et tout le monde sait que les plus beaux rêves se déroulent quand nos yeux sont ouverts sur le monde — de partir filmer les volontaires et les prêtres dans le projet d’un grand documentaire… Que ceux qui ont des yeux lisent, chacun y verra ce qu’il veut voir.

Le Volontariat MEP m’envoie d’abord au Vietnam pour une mission « standard » de trois mois. J’ai toujours le désir vivace de vivre un volontariat, de l’intérieur.

My Tho, Vietnam

La chaleur est moite, l’humidité rentre par tous les pores de la peau, empruntant le chemin tout tracé par la sueur. Les odeurs sont nombreuses, indescriptibles, parfois agréables, mais pas toujours.

Ma mission est protéiforme. J’aide la paroisse de différentes façons, dans l’espoir ténu, que je crains vain, de me rendre (enfin) utile. Ici je tâche mon nouveau t-shirt blanc en peignant la nouvelle maison de retraite, là je trie tant bien que mal des herbes médicinales pour les pauvres (pas trop mal quand même, j’espère…). Le « principal » volet de ma mission concerne les cours d’anglais que je donne le soir, formidable lieu d’échanges et de rencontres.

Du Vietnam, je garde des souvenirs qui s’estompent à mesure que je les raconte. Je me souviens moins de ce que j’ai fait que de ceux que j’ai rencontrés. J’imagine que de cette décantation mémorielle ne reste que l’essentiel.

Il y avait le P. Xung (à prononcer Sung) : l’homme au masque de chair, d’une impassibilité polie, d’une bonté sans limite, avec un goût prononcé pour la torture taquinerie des volontaires MEP. Les élèves du cours d’anglais, Phuong, Yen et Trang notamment, dont je n’ai jamais vraiment réussi à prononcer les prénoms. Et tant d’autres Di Lan, Thy, P. Chan, P. Nguyen… Plus tout ceux dont les noms m’échappent mais pas les visages.

Je constaterai plus tard, durant mon tour des missions, que la plupart des volontaires sont à un moment ou à un autre confrontés à une question dantesque : à quoi je sers ? Un autre que moi aurait pu peindre ces murs et se tâcher, un autre que moi aurait pu trier ces plantes (avec plus de succès de surcroit), un autre que moi aurait pu donner ces cours d’anglais, un autre qui eut été Viet, bien entendu. On en vient parfois à la conclusion suivante : je reçois plus que je donne.

Après avoir vu les volontaires à l’œuvre et rencontré ceux qu’ils fréquentaient, je ne crois pas que ce soit tout à fait le cas. On reçoit énormément bien sûr, mais c’est en étant que l’on donne également. Leur façon d’être, leurs faux-pas et maladresses, leur culture, leurs origines, qu’ils ne maîtrisent pas mais qu’ils orientent dans un cadre de respect de l’autre et de curiosité culturelle, font aussi du bien à ceux qui se les reçoivent en pleine face.

La face justement, pour prendre un exemple, réalité culturelle de l’Asie, a le défaut de voiler les conflits et de les enterrer, de les laisser ainsi pourrir jusqu’à empoisonner les liens et les âmes. Je me souviens ainsi d’un soir où ayant grandement offensé Phuong suite à une blague particulièrement maladroite de ma part — et après avoir reçu un sacré coup de poing sur l’épaule — celle-ci fait l’effort immense d’accepter la différence culturelle et de pardonner, là où elle aurait ignorer un ami Viet. C’est bien cette façon maladroite que j’avais d’être moi-même et de vivre dans son pays qui lui a aussi permis de grandir.

Il y a du bon à « être » et ne faire rien d’autre que d’exister auprès des autres, de vivre avec eux, de les heurter, de susciter des interrogations, voire des conflits… Car c’est également des conflits, des interrogations et de cette vie commune, que j’ai moi-même pu grandir et prendre du recul sur ma propre culture. Ce n’est qu’une des nombreuses leçons retenues de ce volontariat : être auprès de l’autre, dans la différence, pour se faire grandir mutuellement.

Je suis repassé par l’Inde, j’ai fréquenté exactement les mêmes lieux que le Maxence de huit années plus jeune. À Howrah, dans la banlieue de Calcutta, j’ai reconnu ce foyer qui accueille des jeunes filles. L’une d’entre elle, croisée par hasard, âgée de seize ans, m’a reconnu, alors qu’elle n’en avait que huit lors de mon premier passage. Que sait-on vraiment de ce que l’on sème chez les autres ?

Thaïlande, Cambodge, Indonésie, Japon, Corée, Taïwan et autres…

J’ai connu un italien il y a bien longtemps qui ne prenait pas de photos en voyage, afin de profiter de l’instant présent. Décision intéressante qui m’a fait réfléchir. Je me suis pourtant aperçu qu’en filmant les volontaires, je cherchais à comprendre ce qu’ils vivaient et ce qu’ils se passaient, je cherchais à rendre visible l’invisible. Je me suis donc retrouvé intensément plongé dans le présent, en permanence à l’affût d’une image, d’une lumière ou d’une réaction.

Le voyage n’a pas été sans difficulté, sur le plan technique et sur le plan créatif. Le changement permanent fut la seule constante. J’ai appris à m’adapter, à développer une routine de voyage. En arrivant sur une mission, je n’avais aucune idée du sujet et de la façon de le raconter. Alors je filmais. C’est une tâche épuisante, à tout moment quelque chose d’intéressant peut arriver. La caméra est devenue une extension de moi-même, il m’a fallu prendre des vacances à l’instar de mon ami italien pour réellement me reposer, parce qu’autrement on n’est pas à l’abri de tomber devant un beau couché de soleil et de vouloir le capturer.

Cela a appris au scénariste de formation que je suis à improviser et à se jeter dans l’action, plutôt qu’à écrire, planifier et anticiper. C’est une façon de s’abandonner qui a du bon. On ne peut pas se passer du travail de réflexion, il vient plus tard, à la table de montage. Étrangement cette façon de faire résonne avec un aspect de la culture asiatique : l’écoute de l’intuition. Notre culture occidentale est profondément marquée par l’usage de la raison, un usage parfois abusif en terme de création artistique. La raison autrefois serviteur de l’intuition, en est devenue le maître (1). Renouer avec ce chemin plus naturel (et sacré) de l’intuition comme guide principal, et de la raison comme une aide secondaire (bien que nécessaire), est un des plus grands apports de cette mission. J’en ressens aujourd’hui encore les bienfaits.

Les fruits sont nombreux. J’ai eu la chance d’être témoin de la diversité de l’Église catholique, que ce soit parmi les peuples d’Asie, ou les jeunes français, le spectre des croyants est large, mais tous se réunissent autour d’une même foi, incarné dans un même rite : la messe, partout la même à peu de choses près. J’ai moi-même fait l’expérience de l’abandon, d’une redécouverte de la prière par le chapelet, de l’adoration, et de la confirmation de ma vocation de cinéaste.

Maxence, volontaire MEP

 

(1) « L’esprit intuitif est un don sacré, et l’esprit rationnel est un serviteur fidèle. Nous avons créé une société qui honore le serviteur et a oublié le don », cette phrase d’Einstein me semble d’actualité plus que jamais. Ce n’est pas anodin qu’elle vienne d’un homme de science.

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