Fratelli Tutti

L’encyclique Fratelli Tutti dérange, c’est un fait. Cette encyclique a pour un chrétien une saveur amère. Elle est une provocation, une attaque. Elle nous force à nous rendre compte que l’évangile, nous le comprenons bien mais nous ne le vivons pas. Elle rappelle le cœur profond de l’évangile, ce qui en fait son incarnation et sa force : « Celui qui n’aime pas son frère, qu’il voit, ne saurait aimer le Dieu qu’il ne voit pas » ( 1 Jn 4, 20).

Le pape François lance ici un appel à une fraternité universelle, à un amour qui dépasse les nations, les croyances, les philosophies et cela nous plonge dans une étrange sensation de malaise. On peut parier qu’à la lecture de ce texte nous serons tous dérangés dans nos croyances, nous aurons tous un sentiment de révolte. Le pape s’attaque à tout : l’économie, la politique, la culture. En touchant à ces questions brulantes, sociétales, il nous force à confronter notre foi au réel. Il nous force à nous mettre en cohérence : si nous vivons une religion d’amour, nous ne pouvons pas passer notre chemin face à la souffrance du monde. En fait, lire cette encyclique c’est se retrouver face au pharisien qui habite en nous. C’est réaliser que nous sommes loin d’être prêt à aimer sans la moindre barrière ceux qui nous entourent.

Pourtant c’est bien à la fraternité universelle que nous sommes appelés. Le pape rappelle qu’il est du devoir du chrétien d’aimer son prochain, peu importe son origine, sa foi, ses croyances. On comprend alors que ce texte est, certes, une encyclique sociale mais surtout un merveilleux texte sur l’évangélisation, sur la mission, sur la rencontre de l’autre comme frère.

Cette encyclique est un texte difficile et complexe. Le pape François aborde de nombreux sujets, apparemment sans dresser réellement de liens entre les éléments qui se présentent. A première vue il semble difficile de distinguer ce qui sous-tend le raisonnement du pape, ses prémisses et sa conclusion. Cependant, après avoir lu ce texte on comprend que le pape présente un discours construit et serré, qui pourrait être l’exemple même d’un discours missionnaire.

En effet le pape ouvre son propos par une constat plus que pessimiste sur le monde qui nous entoure. Un constat réaliste cependant, qui rejoint chacun de nous. Le pape nous montre que le monde, malgré tous nos efforts, est encore loin de la fraternité et de la justice. Le lecteur est placé face à l’insuffisance des doctrines actuelles : libéralisme, individualisme, marginalisation, mondialisation, déconstructivisme…[1]

Face à ce constat désespérant le pape ouvre une voie, probablement la seule encore valable et inexplorée, probablement parce qu’elle est la voie la plus exigeante :  celle de la fraternité. Le développement qui suit est fondé sur un principe simple, qualifié de « principe de foi » par le pape : « la dignité inaliénable de chaque personne humaine indépendamment de son origine, de sa couleur ou de sa religion, et la loi suprême de l’amour fraternel. » §39

Le pape, après nous avoir montré la noirceur « des ombres d’un monde fermé » nous offre alors une première réponse, évangélique :

« Je propose de consacrer un chapitre à une parabole racontée par Jésus-Christ il y a deux mille ans. Car, bien que cette lettre s’adresse à toutes les personnes de bonne volonté, quelles que soient leurs convictions religieuses, la parabole se présente de telle manière que chacun d’entre nous peut se laisser interpeller par elle. » § 56

Ainsi le pape, en bon missionnaire, ne commence pas par exposer sa foi, mais vient rejoindre ses lecteurs dans le monde qui est le leur, le sien. Et pour ouvrir la conversation avec eux, il invoque une parabole, un de ces récits simple cher au Christ car ils peuvent être compris de tous.

A partir de ce récit le pape quitte apparemment la théologie pour revenir à une encyclique sociale. De ce texte il tire une conclusion simple qui, si on l’accepte engage toute notre lecture. Nous devons considérer tout homme comme notre frère, peu importe sa différence.

Et cette fraternité universelle de tout homme est d’autant plus justifiée qu’elle est nécessaire, autant pour le croyant que pour l’agnostique. Car comme le montre le constat pessimiste qui ouvre l’encyclique :  « Il faut développer cette conscience qu’aujourd’hui ou bien nous nous sauvons tous ou bien personne ne se sauve. » N.137. En découle une doctrine sociale et des propositions nettes pour mettre en pratique la charité évangélique. Encore une fois, le pape se montre missionnaire aguerri, l’amour prime sur tout, et la seule manière de rejoindre l’autre c’est de le faire dans l’amour. Il faut donc être ouvert, accueillir notre frère inconditionnellement.

Mais on peut considérer que s’ouvrir inconditionnellement à l’autre c’est risquer d’en oublier qui nous sommes, voire même de corrompre le message évangélique. Accueillir l’autre sans exigence, sans lui présenter de l’Evangile ce serait en définitive manquer à l’amour. Proposer un amour affaibli.

Mais en fait, le pape démontre justement qu’amour et vérité se rencontrent, s’appellent et se complètent. En fait il y a de quoi être ému face à la foi infaillible du pape. Il croit que « Dieu, le Tout-Puissant, n’a besoin d’être défendu par personne »[2].

Loin du relativisme, qu’il dénonce, le pape rappelle que « s’il n’existe pas de vérités objectives ni de principes solides hors de la réalisation de projets personnels et de la satisfaction de nécessités immédiates […], nous ne pouvons pas penser que les projets politiques et la force de la loi seront suffisants » N.206[3]

Au fil de son texte, le pape pointe  du doigt à son lecteur  « cette réalité qui est enracinée au plus profond de l’être humain, [… ] d’une soif, d’une aspiration, d’un désir de plénitude, de vie réussie, d’une volonté de toucher ce qui est grand, ce qui remplit le Coeur et élève l’esprit vers les grandes choses, comme la vérité, la bonté et la beauté, la justice et l’amour. » N.55,

Dans cet encyclique le pape parle au désir d’amour qui habite le cœur de chaque homme. Désir d’amour qui ne peut être en réalité qu’un désir de Dieu car : « S’il n’existe pas de vérité transcendante, par l’obéissance à laquelle l’homme acquiert sa pleine identité, dans ces conditions, il n’existe aucun principe sûr pour garantir des rapports justes entre les hommes ». N.273

Les principes fondamentaux de la foi chrétienne sont donc posés comme nécessaires à la réalisation de cet amour fraternel, mais le pape en appelle cependant aux hommes de « bonne volonté » pour le faire advenir.

On comprend donc pourquoi ce texte est donc un modèle d’évangélisation. Il n’impose aucune doctrine mais s’appuie sur la foi. Le pape sait que la vérité de l’évangile se manifeste d’elle-même, et qu’il est plus que temps de la faire aimer.

François Tayolle

 

 

 

[1] Chapitre I : Les ombres d’un monde fermé

[2] 285 . J EAN -P AUL II , Lettre enc. Centesimus annus (1 er mai 1991), n. 44 : AAS 83 (1991), p. 849.

[3] Lettre enc. Laudato si’ (24 mai 2015), n. 123 : AAS 107 (2015), p. 896.

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